Prix IRCCADE 2019 - Interview de Mme Nina TELLO, Lauréate.

► Bonjour Nina Tello. Merci de nous recevoir pour répondre à quelques questions pour les abonnés de la Newsletter de l'IRCCADE. Avant tout, pouvez-vous nous raconter le moment où vous avez appris que vous aviez gagné le Prix IRCCADE 2019 ?

 

Nina Tello : J'étais en plein déménagement sur Bordeaux, lorsque le Dr Sauteraud, Président du Jury m'a appelé pour m'annoncer la nouvelle. Je ne m'y attendais pas du tout et j'ai d'ailleurs manqué son appel. Ce fut donc une grande et belle surprise. Même si je suis très fière de cette recherche, je ne pensais pas gagner puisque je me doutais que le niveau de recherche allait être élevé. J'étais donc très heureuse et me suis empressée d'annoncer la bonne nouvelle à mes anciens directeurs de thèse qui m'ont poussé à candidater et qui ont également beaucoup travaillé sur cette recherche.

 

► Pouvez-vous nous rappeler quelle est la dotation de ce Prix, au-delà de son aspect honorifique?

 

Nina Tello : Le prix est composé d'une année de formation organisée par l'IRCCADE (formation au TCC ou trois ateliers de formation continue) grâce à laquelle je me forme actuellement aux TCC. Le prix offre également une dotation de 2000 Euros, à cela s'ajoute bien évidemment la joie de recevoir cette distinction.

 

► Ah Oui ! Ainsi, vous êtes la première lauréate à utiliser immédiatement son cadeau de formation ! Selon vous qu'est-ce qu'apporte la formation de l'IRCCADE à votre cursus universitaire en psychologie, qui est déjà fort riche?

 

Nina Tello : Depuis mes premières années d'études en psychologie, j'ai développé une passion pour la psychologie clinique. Malheureusement, je n'avais pas eu le temps ni les moyens jusqu'à présent de me former aux Thérapies Comportementales et Cognitives. Le Prix me permet donc de combler cette envie. De plus, il m'a toujours semblé primordial que la clinique et la recherche se nourrissent l'une de l'autre, les TCC sont des thérapies validées scientifiquement, c'est ce qui m'a d'ailleurs attiré en premier lieu. Dans mon parcours, il me parait donc important d'être formé aux TCC en tant que clinicienne, mais également en tant que chercheure et enseignante.

 

► Parlez-nous maintenant de votre recherche. Rappelons le titre pour nos lecteurs qui ne la connaissent pas : "Prédiction d’une décision fatale : réplication de la validité prédictive du Test d'Association Implicite Suicide". Le titre est déjà compliqué. Pouvez-vous en quelques mots nous résumer ce que vous avez montré ou démontré ?

 

Nina Tello : Bien sûr ! Notre étude est une réplication de l’étude de Nock et al. (2010) qui montre qu’un bref test informatique l’IAT (test d’association implicite) mesurant les associations implicites (c’est-à-dire automatiques et non conscientes) permettrait de discriminer les patients ayant récemment fait une tentative de suicide des autres patients et permettrait de prédire les futures tentatives de suicide sur une période de 6 mois. Cette étude montre également que l’IAT a une meilleure valeur prédictive que les facteurs de risque habituellement utilisés. L’enjeu de notre étude était donc de vérifier que ces résultats se répliquent bien en France. Au vu de l’importance que pourraient avoir ces résultats, en matière de prévention, il est effectivement important de vérifier leurs fiabilités.

 

► Y a-t-il une implication pratique en clinique? Vous parlez de prévention. C'est « faire quoi » par exemple ? Aux Urgences ? Au cabinet ?

 

Nina Tello : Effectivement, ces résultats pourraient avoir des implications importantes en termes de détection des personnes à risque suicidaire. Ils suggèrent que les personnes ayant un biais implicite envers la mort (calculé par l'IAT) seraient plus enclines à réaliser une tentative de suicide sur une période de 6 mois. L'IAT permettrait donc de détecter ces personnes et de mettre en place des mesures préventives. On pourrait imaginer coupler cette mesure à des programmes de prévention déjà mis en place. De futures études, se basant sur ces résultats, sont nécessaires afin de tester des outils permettant de réduire le biais implicite envers la mort et tester si cette réduction à un effet sur les comportements.

 

► Effectivement ce constat est loin d'être neutre ! Et dit comme ça, on comprend mieux l'utilité pratique. Pensez-vous que ce test IAT puisse devenir un outil clinique de routine après une tentative de suicide, aux urgences par exemple ou au cabinet des professionnels de santé mentale ?

 

Nina Tello : L'idée à terme serait effectivement de pouvoir utiliser l'IAT en clinique, aux urgences ou au cabinet afin de repérer les patients les plus à risque. Cet outil pourrait améliorer la détection des patients à risques, et être ajouté à des programmes de prévention du risque suicidaire déjà en cours. Il serait intéressant également, d'effectuer de nouvelles études afin de savoir si l'ajout, à l'algorithme de l'IAT, des facteurs de risques habituels (comme l'histoire des comportements suicidaires par exemple) pourrait permettre d'améliorer encore sa validité prédictive. Bien sûr, cet IAT serait un outil à la disposition du clinicien, qui devra confronter les résultats du test à son jugement clinique.

 

► Vous parlez avec la prudence d'une chercheuse ! Quel score prédit avec quelle sensibilité/spécificité la récidive ?

 

Nina Tello : L'IAT prédit les futures tentatives de suicide sur une période de 6 mois avec une sensibilité (la probabilité que le test soit positif, lorsqu'une tentative de suicide est présente au suivi) de 37 % et une spécificité (la probabilité que le test soit négatif, lorsqu'une tentative de suicide est absente au suivi) de 94 %. L'IAT identifie correctement les patients qui ont réalisé une tentative de suicide pendant la période de suivi de 6 mois dans 85 % des cas. Ces résultats semblent donc prometteurs !

 

► En effet, je crois que nos lecteurs comprendront l’importance de ce travail. Merci beaucoup Nina Tello ! Peut-on vous demander quels sont projets maintenant ? Je crois que vous quitté le Poitou pour venir prendre un poste à la faculté de Bordeaux ?

 

Nina Tello : Effectivement, je suis actuellement Attachée Temporaire d'Enseignement et de Recherche à l'Université de Bordeaux en psychologie clinique. Je souhaite continuer dans l'enseignement et la recherche, domaine qui me passionne. Je recherche pour l'année prochaine un poste de maitre de conférences, si je suis chanceuse, ou bien un postdoc. J'espère également pouvoir reprendre plus tard une petite activité clinique.

 

► Et bien c’est ce que nous vous souhaitons, Nina. Tous nos vœux pour la suite de votre carrière et merci d’avoir consacré un peu de votre temps à la Newsletter de l'IRCCADE.

 

Nina Tello : Merci à vous.